François Dubet sur "Pas de quartier pour les inégalités"

Publié le 10 Janvier 2008

Question:
Je suis enseignante depuis 22 ans. En restant dans le système éducation nationale, je suis sans cesse prise dans le paradoxe: continuer à faire partie de cette machine qui fabrique de l'inégalité est-ce que c'est lâche ou est-ce qu'en étant à l'intérieur du système, je peux très modestement accompagner localement, ponctuellement des enfants, des familles à prendre plaisir, goût à l'école, à retrouver un peu d'estime de soi parce que je les aurais écoutés,entendus et parfois compris? C'est très douloureux d'être enseignant car nous avons intégré ce discours "d'obligation de réussite" alors on se sent toujours décalés, pas à la hauteur et en plus culpabilisés, mal à l'aise parce qu'on sait qu'on fait tourner à plein régime cette école inégalitaire. "Entre plaisir et souffrance" titrait Claudine Blanchard-Laville et c'est bien là notre paradoxe et notre éternelle interrogation! (Véronique Stéphan, directrice école d'application à Paris)

François Dubet :
Les enseignants n'ont pas à se charger de tous les pêchés du monde. Si l'école est inégalitaire, c'est d'abord parce que la société est inégalitaire. Je crois que ce qu'on peut attendre de l'école, c'est deux choses : UN : qu'elle n'en rajoute pas aux inégalités sociales. DEUX : c'est qu'elle fasse que les élèves aient une bonne expérience de l'école même si elle ne leur réussit pas autant qu'on le voudrait. Il faut que les élèves apprennent des choses, qu'ils aient confiance en eux, qu'il apprennent à vivre avec les autres et on ne pourra pas accuser l'école d'être responsable des inégalités qui ne sont pas les siennes. Sur ce point on a beaucoup trop culpabilisé les enseignants.

(...)
Question :
Vous avez évoqué dans une interview le concept de SMIC culturel? Pouvez vous développer cette notion qui paraît intangible ? (Juju)

François Dubet :
La notion de SMIC culturel peut apparaitre comme une sorte de provocation. Mais c'est une notion que je défends car elle signifie que l'école ne doit pas se donner comme objectif la sélection des meilleurs mais qu'elle doit aussi s'assurer que tous les élèves y compris les plus faibles aient droit aux connaissances et aux compétences sans lesquelles on ne peut vivre normalement. Autrement dit, je propose de ne pas évaluer l'école seulement sur les performances des meilleurs ou sur la moyenne, mais aussi sur le niveau des plus faibles des élèves. C'est ce niveau qui serait l'équivalent d'un SMIC. Je ne comprends pas pourquoi en considérerait que le SMIC économique a été un progrès social, alors qu'un SMIC culturel ne le serait pas.


Coordination Pas de quartier 
Tchat en direct avec François Dubet, sociologue. Le mercredi 9 janvier à 14h.

Rédigé par JeanT

Publié dans #Lectures

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